vendredi 23 septembre 2011

Lettre à Eric Brachet, inspecteur de l’Education Nationale,


LETTRE OUVERTE DEPUIS  LE 6 AVRIL 2005,  APRES CINQ MOIS PASSES SANS REPONSE
 SUR LE NEGATIONNISME DANS L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
Alain Vidal, professeur des Ecoles                                                              Nantes, le 27 mars 2005
Ecole La Fraternité, Nantes
                           Eric Brachet, inspecteur de l’Education Nationale, Nantes ouest

                        Le 12 octobre 2004, vous étiez en visite dans ma classe. Inspectable ou non, peu m’importait, ce qui comptait avant tout c’était que l’on parvienne à discuter des critiques que je formule à propos de l’enseignement de l’Histoire. Cette condition, vous la connaissiez et l’aviez acceptée au cours d’un entretien préalable, lorsqu’en septembre, vous vous êtes présenté à l’école en tant que nouveau venu sur la circonscription. Bien avant votre visite, pour vous mettre à l’aise et vous donner le temps de vous préparer à cet échange, j’avais pris la peine de déposer à votre secrétariat un dossier d’une vingtaine de pages. Le 12 octobre, lors de l’entretien,  vous êtes resté très évasif. Sur mon insistance, le sujet a été abordé, mais à aucun moment  je n’ai eu l’impression d’avoir, avec vous, un véritable débat de fond sur l’enseignement de l’Histoire. Depuis cette date, vous ne vous êtes pas manifesté, ni oralement ni par écrit. Ce silence m’étonne et m’interpelle. Mes critiques fondées sur  l’analyse de manuels scolaires agréés par la ministère démontre la mainmise du pouvoir politique sur les programmes. Après  tout, si confronté à un tel sujet, il vous fallait prendre le temps de la réflexion, rien dans ce cas  ne vous empêchait de me  communiquer par écrit votre pensée.
              Concernant un sujet d’une telle importance, ce silence, long de cinq mois, ne peut que m’inquiéter, d’autant que, le 7 mars, je vous avais  communiqué la  copie d’une lettre adressée, en mon nom, au ministre de l’Education Nationale pour l’alerter d’une proposition de  loi clairement  négationniste et qui  qualifiait  la présence française en Algérie d’œuvre positive. Aujourd’hui votée, cette loi ne fait que confirmer mon analyse et nous  rappelle l’urgence de réagir. Une fois encore, cette manœuvre politicienne démontre la volonté délibérée qu’ont les gouvernants de s’emparer de l’imagination des enfants et ce, dès le plus jeune âge. Une volonté que Jules Ferry a magistralement définie par  cette  « religion de la patrie, une religion qui n'a pas de dissident."
           Cela nous renvoie à notre responsabilité individuelle et collective. Cela nous renvoie à  une citoyenneté qui devrait  guider chacun  d’entre nous et donner du sens à notre activité professionnelle, d’autant plus, quand on est au service de l’Education Nationale, en charge d’enfants pour qui le développement de l’esprit critique est une priorité. D’être employé par l’Etat ne signifie pas que l’on accepte tout de l’Etat. En aucun cas le mensonge d’Etat ne doit parvenir à  faire taire l’expression de notre citoyenneté. Bien au contraire, c’est dans ces moments là qu’il faut redoubler de vigilance. Comment ne pas réagir quand on lit l’article quatre de cette loi qui stipule que « les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord... »
             Des historiens ont réagi, notamment, Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Gérard Noiriel, Frédéric Régent, Trinh Van Thao, et Lucette Valensi. Ces universitaires demandent l’abrogation de cette loi  « parce qu’elle impose une histoire officielle… contraire au respect de la liberté de pensée qui [est] au cœur de la laïcité,  parce que, en ne retenant que le « rôle positif » de la colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme hérité de ce passé,  parce qu’elle légalise un communautarisme nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi interdits de tout passé. » Fait très grave, les députés intiment l’ordre aux historiens, comme à l’ensemble des enseignants, d’écrire ou d’enseigner l’Histoire selon une vision politicienne, reléguant ainsi la recherche universitaire à la botte du pouvoir politique. Le développement de l’esprit critique est en parfaite contradiction avec la volonté d’imposer coûte  que coûte aux jeunes, un patrimoine commun qui relève de l’image d’Epinal et du roman national.
            Il est impossible de se taire devant une telle négation de la réalité, devant ce négationnisme. Quel qu’en soit l’auteur, le négationnisme doit être combattu avec toute la rigueur qui s’impose. Si nous nous taisons, quel crédit aurons-nous auprès des élèves, quand il s’agira de dénoncer  le négationnisme pourtant avéré d’un Jean-Marie Le Pen ? Un négationnisme qui prétend que l’armée allemande a eu un comportement humain pendant l’occupation et que la Gestapo a  protégé la population française !
            Dire l’Histoire sans fard, c’est une condition absolue  pour que descendants de colonisateurs et descendants de colonisés, d’Afrique du Nord et d’ailleurs, puissent enfin, dans la confiance retrouvée, construire un  projet commun de société. Le fossé qui se creuse chaque jour d’avantage entre centre-ville et cité de banlieue n’est pas sans rapport avec une réalité coloniale non avouée, avec ce racisme d’Etat qui a été celui de la troisième République. Une troisième République qui a promulgué en 1881, sous la houlette de Jules Ferry, un Code de l’indigénat faisant de l’Arabe en Algérie, territoire français, un être inférieur socialement, politiquement  et juridiquement  et ce, jusqu’en 1944. Code de l’indigénat qui fut ensuite appliqué dans l’ensemble des colonies. Nié par les manuels d’Histoire d’hier et d’aujourd’hui, ce Code de l’indigénat, en  inspirant les rédacteurs des lois anti- juives sous Pétain, a donné raison à l’adage: « Qui ne condamne pas le forfait, autorise son retour. » Anéantissant toute conscience morale, le négationnisme ambiant, en occultant les lois anti-arabes, a favorisé la promulgation des lois anti-juives. Qu’en pensez-vous ?
                                                                                                                                  Alain Vidal

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