LETTRE OUVERTE DEPUIS
LE 6 AVRIL 2005, APRES CINQ MOIS
PASSES SANS REPONSE
SUR LE
NEGATIONNISME DANS L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE
Alain
Vidal, professeur des Ecoles Nantes, le 27 mars 2005
Ecole
La Fraternité, Nantes
Eric Brachet, inspecteur de l’Education
Nationale, Nantes ouest
Le 12 octobre 2004, vous étiez en visite dans ma classe.
Inspectable ou non, peu m’importait, ce qui comptait avant tout c’était que
l’on parvienne à discuter des critiques que je formule à propos de l’enseignement
de l’Histoire. Cette condition, vous la connaissiez et l’aviez acceptée au
cours d’un entretien préalable, lorsqu’en septembre, vous vous êtes présenté à
l’école en tant que nouveau venu sur la circonscription. Bien avant votre visite,
pour vous mettre à l’aise et vous donner le temps de vous préparer à cet
échange, j’avais pris la peine de déposer à votre secrétariat un dossier d’une
vingtaine de pages. Le 12 octobre, lors de l’entretien, vous êtes resté très évasif. Sur mon
insistance, le sujet a été abordé, mais à aucun moment je n’ai eu l’impression d’avoir, avec vous, un
véritable débat de fond sur l’enseignement de l’Histoire. Depuis cette date,
vous ne vous êtes pas manifesté, ni oralement ni par écrit. Ce silence m’étonne
et m’interpelle. Mes critiques fondées sur l’analyse de manuels scolaires agréés par la
ministère démontre la mainmise du pouvoir politique sur les programmes. Après tout, si confronté à un tel sujet, il vous
fallait prendre le temps de la réflexion, rien dans ce cas ne vous empêchait de me communiquer par écrit votre pensée.
Concernant un sujet d’une telle
importance, ce silence, long de cinq mois, ne peut que m’inquiéter, d’autant
que, le 7 mars, je vous avais communiqué
la copie d’une lettre adressée, en mon
nom, au ministre de l’Education Nationale pour l’alerter d’une proposition
de loi clairement négationniste et qui qualifiait la présence française en Algérie d’œuvre
positive. Aujourd’hui votée, cette loi ne fait que confirmer mon analyse et
nous rappelle l’urgence de réagir. Une
fois encore, cette manœuvre politicienne démontre la volonté délibérée qu’ont
les gouvernants de s’emparer de l’imagination des enfants et ce, dès le plus
jeune âge. Une volonté que Jules Ferry a magistralement définie par cette « religion de la patrie, une
religion qui n'a pas de dissident."
Cela nous renvoie à notre responsabilité individuelle
et collective. Cela nous renvoie à une citoyenneté
qui devrait guider chacun d’entre nous et donner du sens à notre
activité professionnelle, d’autant plus, quand on est au service de l’Education
Nationale, en charge d’enfants pour qui le développement de l’esprit critique
est une priorité. D’être employé par l’Etat ne signifie pas que l’on accepte
tout de l’Etat. En aucun cas le mensonge d’Etat ne doit parvenir à faire taire l’expression de notre citoyenneté.
Bien au contraire, c’est dans ces moments là qu’il faut redoubler de vigilance.
Comment ne pas réagir quand on lit l’article quatre de cette loi qui stipule
que « les programmes scolaires
reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer,
notamment en Afrique du Nord... »
Des historiens ont réagi, notamment,
Claude Liauzu, Gilbert Meynier, Gérard Noiriel, Frédéric Régent, Trinh Van
Thao, et Lucette Valensi. Ces universitaires demandent l’abrogation de cette
loi « parce qu’elle impose une histoire officielle… contraire
au respect de la liberté de pensée qui [est] au cœur de la laïcité,
parce que, en ne retenant que le « rôle positif » de la
colonisation, elle impose un mensonge officiel sur des crimes, sur des
massacres allant parfois jusqu’au génocide, sur l’esclavage, sur le racisme
hérité de ce passé, parce qu’elle légalise un communautarisme
nationaliste suscitant en réaction le communautarisme de groupes ainsi
interdits de tout passé. » Fait très grave, les députés intiment
l’ordre aux historiens, comme à l’ensemble des enseignants, d’écrire ou
d’enseigner l’Histoire selon une vision politicienne, reléguant ainsi la
recherche universitaire à la botte du pouvoir politique. Le développement de
l’esprit critique est en parfaite contradiction avec la volonté d’imposer coûte que coûte aux jeunes, un patrimoine commun
qui relève de l’image d’Epinal et du roman national.
Il
est impossible de se taire devant une telle négation de la réalité, devant ce
négationnisme. Quel qu’en soit l’auteur, le négationnisme doit être combattu
avec toute la rigueur qui s’impose. Si nous nous taisons, quel crédit aurons-nous
auprès des élèves, quand il s’agira de dénoncer
le négationnisme pourtant avéré d’un Jean-Marie Le Pen ? Un
négationnisme qui prétend que l’armée allemande a eu un comportement humain
pendant l’occupation et que la Gestapo a protégé la population française !
Dire l’Histoire
sans fard, c’est une condition absolue pour que descendants de
colonisateurs et descendants de colonisés, d’Afrique du Nord et d’ailleurs,
puissent enfin, dans la confiance retrouvée, construire un projet commun de société. Le fossé qui se
creuse chaque jour d’avantage entre centre-ville et cité de banlieue n’est pas
sans rapport avec une réalité coloniale non avouée, avec ce racisme d’Etat qui
a été celui de la troisième République. Une troisième République qui a
promulgué en 1881, sous la houlette de Jules Ferry, un Code de l’indigénat
faisant de l’Arabe en Algérie, territoire français, un être inférieur
socialement, politiquement et juridiquement
et ce, jusqu’en 1944. Code de
l’indigénat qui fut ensuite appliqué dans l’ensemble des colonies. Nié par les
manuels d’Histoire d’hier et d’aujourd’hui, ce Code de l’indigénat, en inspirant les rédacteurs des lois anti-
juives sous Pétain, a donné raison à l’adage: « Qui ne condamne pas
le forfait, autorise son retour. » Anéantissant toute conscience
morale, le négationnisme ambiant, en occultant les lois anti-arabes, a favorisé
la promulgation des lois anti-juives. Qu’en pensez-vous ?
Alain
Vidal
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