Alain VIDAL
le 27-03-02
Instituteur à l’école de la Fraternité. Nantes
vidal.mothes@wanadoo.fr
02 40 89 32 03
Madame la Rectrice de l’Académie de Nantes
Lundi 25 mars,
deux policiers en civil viennent dans mon école me remettre une convocation
émanant du commissaire de Nantes. En tant que rectrice, vous avez déposé
plainte contre x “ pour dégradations volontaires de biens publics ”.
Je serais mis en cause.
Menées
sur fond de grève de plusieurs
milliers d’enseignants, pour l’obtention
de 500 postes, l’occupation d’une
inspection académique, le franchissement du mur d’enceinte de la mairie, un
porte forcée pour occuper la salle du
conseil municipal, une autre porte forcée pour occuper le rectorat…toutes ces
actions sont illégales. Actions illégales certes, mais commandées par l’intérêt
supérieur des enfants.
Le
devoir d’un instituteur est d’enseigner l’histoire sans fard, notamment
l’histoire des luttes sociales, l’histoire de ces hommes et de ces femmes,
enfonçant des portes, occupant illégalement leur lieu de travail, se battant,
parfois au péril de leur vie, pour la journée de huit heures, la semaine de
quarante heures , les congés payés, la sécurité sociale…pour tous ces droits
qui sont aussi les vôtres, madame la rectrice. Pour tous ces droits encore si
fragiles et si menacés, pour tous les
autres à venir, il y a devoir de se souvenir, il y a devoir d’agir.
Oui, il y a urgence à forcer les portes face
au délit d’indifférence dont se rendent coupables les pouvoirs publics. Pour
n’avoir pas forcé la porte de son
ministre, un haut fonctionnaire a été accusé par le procureur, de délit
d’indifférence au procès du sang contaminé. Invoquant naïvement son devoir de
réserve, ce haut fonctionnaire s’est attiré les foudres du magistrat: le
délit d’indifférence faisait
jurisprudence.
L’assistance à personne
en danger ne souffre aucun pantouflage, aucun conformisme. Sans sous-estimer le
poids des facteurs familiaux socio-culturels, quantité d’enfants sont en danger
par insuffisance de moyens alloués à l’école. Scandale de l’amiante, scandale
du sang contaminé, scandale des classes surchargées, tout finit par se
savoir ! Mais, que de souffrances, que de vies gâchées. Pourquoi
attendre ?
Reconnues pour leur
sérieux, les enquêtes de l’INSEE sont accablantes pour les pouvoirs
publics. Maladies, accidents de la route, accidents ménagers, alcoolisme,
tabagisme, échec scolaire…les pourcentages s’élèvent dangereusement en raison
inverse du niveau scolaire des parents.
Comment oublier à ce
point que les enfants d’aujourd’hui sont les parents de demain ? Quel
aveuglement! Une ouvrière a trois fois
plus de risques qu’une cadre supérieure d’avoir un bébé prématuré.
L’espérance de vie d’un ouvrier est de dix ans inférieure à celle d’un cadre.
L’instruction a toujours été la meilleure des préventions contre les inégalités
acquises.
Par échec scolaire
aggravé, des jeunes sombrent dans la délinquance, des vies sont fracassées.
Forcer les portes ? Oui, c’est urgent. Concernant la délinquance des
jeunes, les enseignants ont à réaffirmer
inlassablement la primauté de l’instruction
sur la répression, la primauté de l’instruction sur l’enfermement des enfants dans des
centres dits d’“ éducation renforcée ”, la primauté du droit des
parents à l’éducation permanente sur la suppression des allocations familiales
et autres humiliations de ce genre.
Instituteurs, rectrice… nous sommes avant tout
des citoyens. Sortons de nos petits conformismes quotidiens, de nos plans de
carrière qui nous bâillonnent. Allons guerroyer aux frontières de nos
statuts ! Etablissons le contact
autrement que par commissaire de police interposé.
Madame la rectrice, n’attendez pas que des
parents portent plainte pour non assistance à enfants en danger. Nous
connaissons la réalité, vous la connaissez. Madame la rectrice, rejoignez nous
et ensemble nous serions plus forts pour faire céder la porte d’un ministre qui
reste sourd à nos revendications. Il ne s’agit plus de convenances surfaites, mais de devoir. Vous
briseriez l’assourdissant silence de l’indifférence.
Vous forceriez le respect.
Alain VIDAL
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