Je me sentirai américain quand
les Américains se sentiront somaliens
New-York, après l’attentat
criminel du 11 septembre 2001, une petite fille en pleurs attend des nouvelles
de sa maman. Coup de téléphone :
-Oh !c’est
toi maman, tu es vivante, j’ai eu si peur, il y a tant de morts.
-Oui, ma chérie, c’est
moi, mais tu sais, je t’appelle pour te dire adieu…
Le même jour, quelque
part en Somalie, une petite fille pleure sa maman qui vient de mourir, torturée
par la faim. Pour faire le deuil, pas d’aide psychologique… à quoi bon ? Dans
quelques heures, l’enfant mourra, emportée par la famine.
Toutes les heures, 4 200 personnes meurent de faim,100 000 par jour ! Ce qui équivaut à trente-trois
11 septembre ! En dix ans, le
terrorisme alimentaire a tué 365 millions d’êtres humains…122 000 11 septembre …Pas de
condoléances, pas une minute de silence, pas de commémoration, pas de reportages, pas de dessins
d’écoliers envoyés aux familles des victimes, pas de mémorial pour cet attentat
permanent, rien pour ces pauvres hères qui meurent assassinés dans
l’indifférence d’un Nord bien nourri qui réduit l’universel au Word Trade
Center.
Je me sentirai américain quand les Américains comprendront que l’économie dite de marché est incapable de résoudre la
misère du monde, quand les Américains
comprendront que le marché de l’emploi décrète l’inutilité d’un
nombre croissant d’êtres humains dont la valeur n’est que marchande. Les
capitaux se déplacent en toute liberté dans le monde à grands coups
d’expropriations de terres vivrières et se posent là où les riches espèrent le
plus grand profit.
Je me sentirai Américain quand les Américains comprendront que la sécheresse a bon dos pour expliquer les famines, quand on sait que 93
% des réserves d’eau ne sont pas utilisées en Afrique. Et pour cause !
Malgré leur évidente faisabilité, ces travaux ne seraient pas rentables.
L’Afrique n’a pas de problème d’eau,
elle a un problème de tuyaux ! Pour les produits à l’exportation, pour les
complexes touristiques de grand luxe avec terrains de golf, miraculeusement, l’eau
apparaît, là où, pour des productions agricoles locales, hier encore, rien
n’était possible. Ce qui était utopique pour l’irrigation de terres
nourricières devient réalité quand il s’agit de l’addiction compulsive des
riches. Financement de campagnes électorales, aide à l’organisation de coup
d’état, soutien aux dictateurs, partout, l’appétit prédateur des riches est à
l’œuvre. Les chefs d’état, commis-voyageurs officiels, sillonnent la planète pour
la défense d’intérêts strictement privés.
La famine, conséquence d’une guerre « économique »,
qui, avec le remplacement des hommes par la machine, exige de vendre moins cher
avec toujours moins de salaires. La conquête
d’un marché, c’est du chômage pour les entreprises vaincues… Exclu de tout
revenu, un nombre croissant de gens sont condamnés aux bidonvilles et aux camps
de la faim. Autrefois, munis d’outils rudimentaires, tout travailleur manuel
rapportait un profit au maître. On était exploités mais assurés du minimum, ne
serait-ce que pour continuer à produire. Aujourd’hui, condamnés à mourir de
faim car non rentables, chaque jour, cent
mille êtres humains sont abandonnés à une mort certaine. Petits producteurs
indépendants, expropriés de leur terre ou de leur atelier par l’endettement bancaire
ou par des lois décrétées par des gouvernements corrompus à la solde de
multinationales. Cent mille personnes assassinées, comme par exemple dans la
corne de l’Afrique, à coup de cultures de roses et de tulipes chassant les
terres vivrières.
La liberté de circulation du patrimoine de savoirs et de
savoir-faire
dont tout être humain est naturellement l’héritier apporterait la prospérité à
l’échelle de la planète. Impensable, la
prospérité pour tous sans le profit, source de distinction! C’est le butin
pris à autrui qui donne à certains cette illusion de grandeur dans un monde
qu’ils ont mis à genoux en l’appauvrissant. L’intérêt général est intolérable, quand
le charme discret de la bourgeoisie commande d’envoyer son enfant dans une école privée à 20 000 € l’année.
Intolérable, pour les
« élites », que tous les jeunes accèdent à un enseignement et à des soins de
grande qualité semblables à ceux de leurs enfants… Souvenons-nous du Front
populaire de1936, de ces riches ne supportant pas voir « leurs
ouvriers » en congés payés pique-niquer sur « leurs » plage. Sans le développement séparé, les
riches ne se distingueraient pas de ces
masses indistinctes et vulgaires.
La disparition des
productions inutiles et dangereuses qui n’existent que pour le seul profit,
conjuguée à l’abondance technologique, ferait que 15 % de la population active
suffirait à la production des biens matériels pour les particuliers, l’industrie
et les services (nourriture, logement, machines…). Le reste, 85 %, s’investissant
dans les services publics.
Ce luxe criminogène provoque
de multiples luxations entre les membres
du corps social. N’oublions pas que luxation vient de luxe, consommation excessive… L’addiction
à l’accumulation compulsive pousse les seigneurs du capital à maintenir les
populations en état de nécessité, en dénaturant l’abondance de temps libéré par
les machines. Ce temps libéré, on
préfère le détourner des services publics, pour le gaspiller dans le chômage ou le salariat.
Pour endiguer l’extension des services publics, ou pour
les détruire, les grands actionnaires possèdent
une arme de dépossession massive : l’endettement.
Un endettement généré par des intérêts bancaires illégitimes. La monnaie est devenue quasiment gratuite par l’abandon
depuis le siècle dernier de la parité-or (95 % de monnaie électronique, 5% de
pièces et de billets…). L’argent n’est pas une richesse, mais seulement la
mesure des richesses. Quand tout, quasiment, se fabriquait à la main, il était
logique de créer la monnaie en fonction du seul travail des hommes, cristallisé
dans les marchandises, mais aujourd’hui, en deux cents ans, les marchandises,
en moyenne, sont fabriquées à 95% par
les machines informatisées. Malgré cela, la création monétaire et le pouvoir
d’achat restent alignés sur le seul travail humain !
La création de
monnaie et son usage sont contrôlés par dix millions de millionnaires en dollars
et neuf cents milliardaires à la tête des banques, des grands moyens de
production et des médias. Par les intérêts sur l’argent, ils décident des
productions, et règnent ainsi sur nos existences. L’obligation faite aux Etats
de réduire les services publics pour abaisser la dette, a pour objectif caché de
mettre à la disposition des capitaines d’industrie un réservoir de chômeurs, taillables
et corvéables à merci dans le salariat, chômeurs qui, s’ils devenaient
fonctionnaires, seraient à tout jamais perdus pour l’enrichissement privé. On
aura compris que le système bancaire ne profite pas qu’aux seuls banquiers,
c’est une arme d’expropriation massive entre les mains des multimillionnaires. Une
arme d’endettement (par intérêts accumulés), qui rabat les dépossédés vers
le chômage ou le salariat. En Somalie, comme ailleurs, des enfants continueront
à mourir de faim, tant que les peuples n’auront pas la souveraineté
monétaire, préalable à la souveraineté alimentaire.
Je me sentirai américain quand les Américains comprendront qu’une dette qui n’est que racket ça ne se rembourse pas !
De l’esclavage au salariat, de l’expropriation par
enlèvement d’esclaves à l’expropriation par endettement des petits paysans et
artisans indépendants…du
racket par l’épée au racket par les intérêts sur la monnaie, le monde est passé
de l’occupation militaire à l’occupation monétaire. Sans endettement, pas de profit. Ce racket fait que les dépossédés s’entassent dans les bidonvilles,
contraints au trafic de drogue, à la prostitution, au démantèlement des
familles par la vente d’enfants à des gens du Nord en mal d’adoption,
voire à la vente à la découpe de son propre corps, je veux dire la vente
d’organes. Au dernier stade de l’avilissement, un amas de corps dégradés,
paysage de famine, dans un océan de terres exploitées ou maintenues en jachère au
nom du seul profit.
Je me sentirai
américain quand les Américains comprendront que les commémorations du 11 septembre sont un message à destination des couches intermédiaires de la
société,
un message pour reléguer dans l’oubli les victimes du terrorisme de la faim, en
Somalie et ailleurs. L’intégrisme musulman est présenté comme le pire ennemi,
occultant le fait que les intégrismes se développent sur le terreau des
inégalités. Sans ce matelas protecteur, sans les couches intermédiaires, du
cadre moyen au pdg salarié, les seigneurs du capital seraient directement
confrontés à la colère des couches populaires. Millionnaires et milliardaires
en seraient réduits à se calfeutrer, comme le font les dictateurs du Sud,
au fond de leur palais, dans l’angoisse des révoltes populaires. Sans l’Ecole
et l’Université, sans une foule de journalistes et d’intellectuels médiatisés à
outrance, banalisant salariat et croyance fausse en l’argent (présenté comme une
richesse), comment faire consentir les peuples au système? Et comment légaliser
la dette-racket sans ces politiques
dont la carrière dépend d’un passage en continu dans les médias, propriétés des
riches ? N’oublions pas que le printemps arabe est né de la défection des
couches intermédiaires se rangeant au côté des classes populaires… Les
couches intermédiaires, portent une
énorme responsabilité dans la marche du monde, car, consciemment ou non, elles
gèrent le système pour les riches. Que
ces couches se lèvent aux côtés des dépossédés de la Terre !
Je me sentirai
américain quand les Américains comprendront que la libre entreprise est un mirage lorsque
92 % de la population active est réduite au salariat. Le Code du travail définit le salariat dans un rapport de
subordination aux actionnaires qui achètent une force humaine de travail contre
un salaire… Qu’on soit vendu comme esclave ou qu’on soit éduqué à se vendre sur
le marché de l’emploi, on doit se plier à un maître, que ce soit le planteur ou
le conseil d’administration, (employer, de ployer,
faire plier). Ainsi, qu’on le veuille ou non, on reste mancipare, vendu, le contraire d’émancipé, celui qu’on n’achète pas….
Les seigneurs du capital s’accrochent au
capitalisme comme les seigneurs féodaux
au féodalisme. Sans les serfs rackettés, pas de château, sans les
salariés rackettés, pas d’îles privées, pas de suite dans les palaces, pas
d’enveloppes aux politiques qui promulguent des lois d’enrichissement sur
mesure. Pour les banksters-racketteurs
et leurs copains, pas d’enrichissement sans appauvrissement.
Je me sentirai américain quand les Américains reconnaîtront que le verrouillage des savoirs et savoir-faire par les brevets, constitue
l’une des principales causes de la misère du monde. Un savoir, une idée, une
invention, relèvent de la sphère de l’immatériel. La même connaissance peut
être utilisée par un nombre illimité de gens sans que son inventeur en soit
privé. Contrairement à une idée reçue, le savoir ne se partage pas, il se
transmet à l’identique… Dans la réalité, seuls les biens matériels sont
échangeables, tu me donnes un bonbon contre une image, chacun a donné, chacun a
reçu. Les informations se transmettent sans aucune dépossession, mieux elles
s’enrichissent dans leur utilisation à l’inverse des biens matériels qui s’usent dans la
consommation. Cette remise en question d’un prétendu marché de la connaissance est aussi lourde de conséquences que
celle de la centralité de la Terre par Galilée. L’ignorer, c’est se donner
bonne conscience dans des actions
charitables, nécessaires certes, mais inopérantes sur le long terme car
n’agissant pas sur les causes du mal.
Qu’un auteur, qu’un inventeur soit reconnu, très bien,
mais la propriété intellectuelle qui n’est que le droit
de déposséder autrui doit être abolie, aucune œuvre, aucune invention, n’aurait
pu voir le jour sans toutes celles qui l’ont précédée, et pour la
quasi-totalité, sans aucun brevet.
Je me sentirai Américain
quand
viendra le jour du libre accès aux inventions et procédés qui appartiennent au
patrimoine de l’humanité. Quand ne seront plus confisqués les savoirs et savoir-faire
accumulés depuis la nuit des temps, patrimoine dont nous sommes tous les
héritiers…
Je me sentirai Américain quand les Américains ressentiront de l’émotion à l'égard des victimes du terrorisme
alimentaire. Quand seront interdits quotas et destructions concernant les productions utiles aux
populations. Quand savoirs et savoir-faire circuleront librement en lieu et
place des capitaux. Quand, dans la production des biens matériels, le temps libéré par les machines sera
systématiquement déversé dans les services, tous, devenus publics. Quand la création monétaire sera alignée sur les quantités de productions, autorisant ainsi un revenu d’existence,
alimenté par une monnaie sans intérêts, une monnaie anti-spéculation, une
monnaie anti-expropriation, tout simplement, une monnaie de paix. Fabuleux
programme, quand on sait que payer vient de pacare,
faire la paix...
…C’est alors que les Somaliens
se sentiront américains.
Alain Vidal, Nantes le 21 septembre 2011